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Eleonore Didier - Page 2

  • Eleonore Didier, entre les gestes

    Aveu1Petit.jpgCe qui ne se produit pas ou qui n'est pas vu est aussi important que ce qui se produit en apparence. En cela, ce solo créé à Lisbonne en 2005 est le digne grand frère de Paris Possible, performance pour un spectateur unique (en principe), mûrie à Point Éphémère l'an dernier. Eléonore Didier, plus qu'elle ne danse, ce soir invente des mouvements inquiets, d'abord en arpentant raz le sol, puis en sauts bas, de la lenteur vers presque la panique, l'espace blanc jusqu'à l'épuisement de celui-ci. 

    Passée debout elle construit l'espace de son regard, crée une forte attente vers la suite. Puis les habits vides de corps, comme dessinant une présence abandonnée, sont soigneusement rangés à terre- pour ne laisser à ce corps que la sincérité du dépouillement. Corps qu'on voit, tout en surface, rien qu'en surface. Lent, mais sans intentions lisibles: qu'y voir après vraiment? Rêver? Répétés, des instants suspendus sont précieux, des arrêts sur images quasi photographiques. La danseuse parvient ici, tout autant que durant les deux heures de Paris Possible, à faire durer quelques moments d'éternité. D'une rare qualité d'immobilité. Pleins de la tentation de l'abolition de la danse? L'"image" suivante a la force et l'incongruité d'un déjeuner sur l'herbe de Manet ou d'un tableau pré-surréaliste: un jeune homme assis immobile et la femme sans vêtements, sa tête cachée, souvent, tous deux d'abord dos au public, tournés vers le mur immaculé. La danseuse passe en revue l'inconfort des positions qu'elle peut avec table et chaise, laissée déjà loin derrière elle sa sobre impudeur. Les arrêts se tiennent en déséquilibre, elle succombe à la chute. A la fin-tendresse?- le garçon sera enlacé.

    Guy

    C'était Solides, Lisboa, de et avec Eleonore Didier, vu à Mains d'Oeuvre.

    Voir les photos de Vincent Jeannot.

    Lire aussi Images de danses, et -la critique professionnelle s'inéressant enfin à Eléonore Didier- Mouvement, l'année d'aprés...Il ne s'agissait pas d'une "création" à faits d'hiver, comme Gérard Mayen l'écrit dans son article, comme peut-être chaque fois qu'il découvre une pièce :-) . 

     

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  • Eleonore Didier: service minimum

    Elle n'a peur de rien et déjà pas d'étirer son solo pas loin de deux heures, et devant si peu d'yeux. Peur de rien; on lit qu'en résidence ici durant un an elle a dansé chaque semaine pour un spectateur seulement. 639f8287cb21d879f422e48938865312.gifConcept radical, à l'évidence intimidant. On regrette de ne pas avoir postulé alors, mais le lundi matin ça n'est pas un horaire. Elle n'a non plus pas peur d'être, plutôt que de faire, de nous laisser seuls remplir le vide de pensées, plutôt que de montrer le plein. On ne peut d'ailleurs plus ici parler de danse, plutôt d'un exposé d'états de corps. A prendre ou à laisser, en deux parties bien contrastées.

    Au début le sujet gît au sol, noyée dans une doudoune d'une couleur douteuse, tête sous la capuche et visage bouffé par les cheveux. En état d'apathie extrême. Ça traîne par terre, ça remue de l'orteil juste alors qu'on commence à désespérer. Une quasi immobilité, de l'intérieur inerte, rien à voir avec l'énergie contenue d'une danseuse de buto. Encéphalogramme plat. Quand même, une jambe bouge et l'autre, et à quoi bon au fond? Retombe. Sans qu'on ait vu très bien comment, elle a rampé presque d'un mètre. S'est retournée sur le dos, se tord vaguement, un doigt agité. C'est qu'elle a manifestement du mal à exister. Est ce par peur, amnésie, doute, lassitude? En tous cas on s'y fait, on s'intéresse. On baille un peu mais on reste. Ou cette passivité apparente est elle l'effet d'une volonté? Peut-être la danseuse résiste-t-elle placidement contre la tentation du mouvement, peut-être lutte-t-elle obstinément contre le temps qui passe et l'impatience. Étrange: elle finit par gagner et nous gagner dans le même temps, elle remporte la première manche dans combat de la non-urgence. Dans cette quête léthargique, l'égarée perd en route pompes et jean. C'est l'effeuillage le plus long et mou de l'histoire de la danse, durablement stabilisé à l'étape doudoune et petite culotte bleue. Les jambes nues dessinent en bas un commencement d'animation, une personnalité s'esquisse, qui lutte contre l'anonymat que fait peser encore sur le haut du corps la doudoune informe. Elle s'agite presque, puis pour de bon, puis plus franchement encore, et on identifie jusqu'à ne plus pouvoir les nier les mouvements subis d'un coit rude et essoufflé, impulsés par un partenaire imaginaire. Après, en récupération, cinq bonnes minutes d'immobilité complète. Rien. Vide. Silence. Blanc. Les sept spectateurs sont disséminés le long de deux des cotés de la salle, aussi visibles que celle au milieu, et qui ne bouge plus. Ceux qui la regardent semblent un peu plus nerveux qu'elle, sans qu'ils n'osent s'interroger du regard pour autant. L'un consulte quand même furtivement sa montre au poignet. Fausse alerte, la performance n'est pas finie: la performeuse a bougé. Se hisse sur une marche d'une fesse hésitante, en glisse et retombe lourdement, inerte. Une heure presque est passé et si on est resté jusqu'à travers ces cinq dernières minutes, on a renoncé à tout. Désormais la danseuse peut parfaire sa victoire en prenant possession de l'espace entier, venant nous frôler les uns et les autres, ainsi les uns après les autres à la somnolence arrachés. Elle est tout à fait réveillée, et réussit le passage au vertical. Maintenant s'ouvre la possibilité du mouvement: hop, et les pieds aux murs, incroyablement spectaculaire et acrobatique par rapport à tout ce qui a précédé. Exploration de l'espace disponible: il y a-t-il une vie possible entre le mur et les cloisons en placo? Disparition dans d'impossibles interstices.

    Réapparition et rupture de ton: la seconde partie partie se dénude franchement et sans manières, face aux fenêtres grandes ouvertes sur le canal Saint Martin, dans la chaleur nonchalente de cette fin d'aprés-midi de juin. Peur de rien décidément, sauf qu'il n'y ne reste en fin de compte ici pas plus de provocation que de pudeur. C'est juste qu'à ce moment elle "est" enfin pour de bon. Libérée de la doudoune et de la culotte bleue, occupée à se définir elle-même. A trouver sa place dans cet espace flou. Un lieu brut et nu, sans espaces nets ni décors, tout de récupération industrielle, où chaque spectateur s'est installé au hasard en rentrant. Un lieu qui mérite bien son nom de Point Ephémère. Eleonore Didier est très occupée, à deux pas d'elle on se sent à peine exister. Devant sept spectateurs, ou un seul, ou aucun, ou juste face aux fenêtres devant toute la berge opposée du canal Saint Martin, son entreprise resterait sans doute la même: seule et affairée, s'examiner imaginaire (s'examiner l'imaginaire? ) à travers la visée d'un appareil photo sur pied, déclencher le retardateur et venir devant l'objectif poser, plaquée contre le mur, sérieuse et laborieuse, dans diverses positions convenues, ou alors beaucoup moins. En tension, plaquée, ou renversée, vers les limites, sang à la tête, l'équilibre forcé. Jusqu'à, à nouveau, essayer de se couler dans les angles perdus du mur, la chair contre le grain du béton. Le naturel forcé. Impasse et peine perdue. La séance photos abandonnée on passe à l'évocation d'un musée vivant, une promenade figée en postures empruntées à la statuaire antique. Comme la recherche d'autant images idéales et rêvées.

    Enfin se répète deux, trois fois un dérisoire épilogue, à nouveau en doudoune mais toujours sans culotte bleue, à poser ci et là une échelle dans les axes successifs de nos points de vue de chacun, et s'y percher pour des acrobaties pendues, lasses et un peu crues. A l'avidité du regard presque un pied de nez.

    Puis E.D se rhabille enfin, prenant son temps jusqu'au bout, de la capuche aux chaussures. Sans marquer la fin, sans solliciter d'applaudissements. S'en va et ne revient plus. Pour une absence tout aussi existentielle que ses présences d'avant.

    Paris Possible? Paris tenu.

    C'était Eléonore Didier pour la création de Paris, possible , à Point Ephémère.

    C'est gratuit et ça recommence au même endroit, mardi prochain le 26 juin, à 19h ou à peu prés.

    Guy